Massacre à Villeneuve-d’Ascq (Nord)

Chemin de la Résistance et des Maquis
Mis en ligne sur le site le 30 mars 2024


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Il y a 80 ans, ce triste massacre provoqua l’une des plus grandes grèves de la Seconde Guerre mondiale
Correspondance, Gautier DEMOUVEAUX.

Villeneuve-d’Ascq (Nord) commémore ce dimanche 24 mars les 80 ans du massacre au cours duquel 86 habitants de la commune, âgés de 15 à 74 ans, furent sortis de leur maison pour être fusillés. Un drame qui marqua profondément la région, engendrant une grève de plus de 60 000 ouvriers pour condamner cette exaction…


Il est 22 h 44 ce 1er avril 1944, la veille du dimanche des Rameaux, lorsqu’une explosion retentit sur la voie ferrée de la ligne Bruxelles-Lille, près du poste d’aiguillage de la gare d’Ascq, une commune comptant alors 3 500 habitants, en périphérie lilloise. Quelques minutes auparavant, l’Express reliant la ville belge de Tournai à la capitale des Flandres française est passé. Il devait être suivi par un train de ravitaillement de l’armée allemande. Un groupe de résistants locaux, mené par Paul Delécluse, un ouvrier asquois travaillant à la SNCF, membre du réseau Voix du Nord, a pour mission de faire dérailler le convoi. L’objectif du sabotage : ralentir et désorganiser le ravitaillement allemand, quelques semaines avant le débarquement de Normandie. Une manière d’éviter le bombardement des gares de la région par les avions alliés, et ainsi éviter de nombreuses pertes civiles.

Cependant, ce que les résistants ne savent pas, c’est qu’un autre train s’est intercalé à quelques kilomètres de là. Il transporte un bataillon de la 12e division blindée de la SS Hitlerjungend. À bord, 60 blindés et 400 hommes, âgés d’une vingtaine d’années, recrutés dans les rangs des jeunesses hitlériennes, qui viennent de finir leurs classes en Belgique et qui sont envoyés dans l’Orne. L’explosion endommage la locomotive et fait dérailler les premiers wagons, mais, le train circulant à faible vitesse, les dégâts sont partiels, et il n’y a aucun blessé parmi les soldats allemands.
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Une répression terrible

Une dizaine de minutes après le déraillement, la troupe se disperse dans les rues du village et va de maison en maison, défonçant les portes des habitations et emmenant les hommes âgés de plus de 15 ans. Parmi les habitants, certains sont en pyjama, d’autres ont à peine eu le temps de s’habiller. Les coups pleuvent, une première victime est à déplorer, quand le vicaire de la paroisse est battu à mort devant chez lui, pour s’être interposé en voyant l’un de ses voisins se faire molester.
Un premier groupe d’hommes est envoyé vers la gare, avant d’être abattu un à un le long de la voie. Pendant près de deux heures, un deuxième, puis un troisième groupe subissent le même sort. Tout comme ceux qui tentent de fuir… Les soldats nazis appliquent avec beaucoup de zèle les ordres reçus quelques semaines auparavant de la part du général Speerle, pour lutter contre les attaques de la Résistance : « Il faut riposter tout de suite avec les armes à feu. S’il arrive que soient frappés des innocents, le fait est regrettable, mais n’est imputable qu’aux terroristes… »

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La justification du massacre

Face à cette répression aveugle, l’un des agents de la SNCF présent dans la gare arrive à prévenir par téléphone l’un de ses homologues de la gare de Lille, afin d’envoyer des secours et prévenir les autorités d’occupation pour arrêter la tuerie. « Des soldats de la Wehrmacht, détachés à Ascq depuis le début de la guerre, ont tenté de s’interposer, mais ont essuyé des tirs de leurs homologues SS, raconte Quentin Duhem, référent communication du Mémorial d’Ascq. Certains ont tout de même réussi à sauver des habitants… »
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Finalement, le commandement régional de l’armée allemande à Lille est prévenu et envoie la Feldgendarmerie qui fait stopper ce déchaînement de violence. Juste à temps pour sauver un quatrième groupe de civils. En deux heures, ce sont 86 victimes qui sont passées par les armes. Les plus jeunes s’appelaient Jean, René et Roger, ils avaient 15 ans. Le plus âgé, Pierre, en avait 74. Plusieurs corps sont défigurés par la violence des coups, et certains soldats n’hésitent pas à détrousser les cadavres et à piller les maisons.

Au petit matin, face à l’ampleur du massacre, l’armée allemande interdit l’accès au village. Cela n’empêche pas la nouvelle de parcourir la métropole lilloise. Pour contrer la rumeur, le général Bertram, à la tête de la Kommandantur de Lille, interdit à la presse locale d’évoquer « l’incident » et fait publier un communiqué qui accuse les Asquois. La version du gradé allemand, bien loin de la réalité, minimise les fait en expliquant que « des coups de feu ont été tirés sur un train militaire […], la troupe a répondu par les armes et un nombre considérable d’habitants ont trouvé la mort… » Une opération de légitime défense donc, au cours de laquelle les SS n’auraient fait que riposter !



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20 000 personnes aux funérailles

Malgré la propagande allemande, le 5 avril, jour des funérailles, plus de 20 000 personnes se rassemblent dans le village d’Ascq, en silence, pour saluer le cortège transportant les cercueils, et soutenir les 75 veuves et les 127 orphelins du drame. Une telle manifestation est interdite, mais il n’y aura aucune répression. Le même jour, 60 000 ouvriers de la région lilloise se mettent en grève en signe de contestation. C’est l’une des plus importantes mobilisations françaises au cours de la Seconde Guerre mondiale.

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Dès la Libération, les familles de victimes organisent un lieu de mémoire en souvenir de ce que la presse va bientôt appeler « L’Oradour du Nord ». En 1947, le Général de Gaulle – ancien chef de la France Libre - se rend sur le lieu du massacre, tout comme le président Vincent Auriol, qui pose la première pierre du monument des fusillés. L’année suivante, la loi baptisée « Ascq-Oradour » qui permet de faire « d’un membre quelconque de la division le responsable des exactions de ses compagnons » débouche en août 1949 sur un procès de 17 SS des Hitlerjugend présents dans le train le 1er avril 1944. Condamnés à morts, ils sont finalement graciés, puis libérés à la fin des années 1950, sur fond de réconciliation franco-allemande.

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Une ville nouvelle en hommage

Quatre-vingts ans après, le souvenir de ce drame est encore bien présent dans la mémoire collective locale, à travers le Mémorial inauguré en 1984, dans les murs de l’ancien centre de soins pédiatrique construit sur les lieux de la tragédie. « Dès la fin de la guerre, les veuves ont souhaité que là où leurs maris et leurs fils avaient péri, on édifie un dispensaire moderne pour la consultation des nourrissons : là où la violence de guerre avait apporté la mort, tout soit fait pour préserver et soutenir la vie », explique Quentin Duhem.

Tous les ans, une cérémonie est organisée le jour de la fête des Rameaux. Elle prend une ampleur particulière tous les cinq ans, avec une retraite aux flambeaux, la veille au soir. La commune, qui a fusionné en février 1970 avec celles d’Annappes et de Flers, a aussi donné son nom à la ville qui a vu le jour, comme le rappelle Gérard Caudron, le maire de Villeneuve-d’Ascq : « À l’époque, l’idée de l’État était de baptiser cette nouvelle entité Villeneuve-en-Flandres. Les Asquois se sont battus pour que le nom de leur commune martyre reste dans la dénomination de la ville nouvelle… »